jeudi 18 octobre 2018

Le chevalier de Maison-Rouge - Alexandre Dumas


   

    « C'était pendant la soirée du 10 mars 1793.
    Dix heures venaient de tinter à Notre-Dame, et chaque heure, se détachant l'une après l'autre comme un oiseau nocturne élancé d'un niz de bronze, s'était envolée triste, morne et vibrante. 
    La nuit était descendue sur Paris, non pas bruyante, orageuse et entrecoupée d'éclairs, mais froide et brumeuse. 
    Paris lui-même n'était point ce Paris que nous connaissons ; éblouissant le soir de mille feux qui se reflètent dans sa fange dorée, le Paris aux promeneurs affairés, aux chuchotements joyeux ; aux faubourgs bachiques ; pépinière de querelles audacieuses, de crimes hardis, fournaise aux mille rugissements, mais une cité honteuse, timide, affairée, dont les rares habitants couraient pour traverser d'une rue à l'autre, et se précipitaient dans leurs allées ou sous leurs portes cochères, comme des bêtes fauves traquées par les chasseurs s'engloutissent dans leurs terriers. 
    C'était enfin, comme nous l'avons dit, le Paris du 10 mars 1793. »




C'est ainsi que débute Le Chevalier de Maison-Rouge. J'ai préféré laisser le soin à Dumas de vous mettre dans l'ambiance : il le fait si bien. S'ensuit un petit résumé de la situation de la France à ce moment-là. Je ne vais pas m'attarder dessus : même en ayant mon niveau en histoire, vous devez savoir que ce n'est pas totalement la joie et que dans ce climat tendu, il n'est pas toujours facile de garder la tête sur les épaules. Le roi en a fait les frais le 21 janvier de la même année... Eh oui, je connais la date : ça vous la coupe !
Après ce court (3 pages et demie : pas la mer à boire) rappel  historique (ou découverte, pour certains d'entre nous), on entre directement dans le vif du sujet et il ne fait plus aucun doute que nous sommes dans un roman d'aventure des plus palpitants (c'est d'ailleurs à ce moment du récit que commence ma lecture sur la chaîne YouTube ; oui : je me suis autopromue Mère Castor).






Source : wikipedia


    L'intrigue débute lorsqu'un officier tombe sur un groupe de soldats en train de rudoyer une jeune femme. Il leur demande des comptes pour leur comportement. Les soldats expliquent qu'ils sont dans leur bon droit : tout d'abord, la jeune femme n'a pas de carte de civisme, obligatoire si l'on veut sortir après 22 heures ; et après tout, c'est l'époque où l'aristo-chasse bat son plein et les soldats ont flairé là « quelque gibier aristocratique ». Le jeune homme se propose de protéger la damoiselle en détresse de cette troupe avinée et de la conduire au poste lui-même, puisque la loi l'exige : Maurice (c'est son prénom) est un bon p'tit révolutionnaire. Elle lui répond : « Monsieur, ce n'est plus l'insulte que je crains, c'est la mort : si l'on me conduit au poste, je suis perdue », alors que les soldats se préparent à attaquer Maurice pour laver l'offense d'avoir été remis à leur place par un seul homme.



« Quant à Maurice, le sourcil froncé, la lèvre dédaigneusement relevée, le sabre hors du fourreau, il restait irrésolu entre ses sentiments d'homme qui lui ordonnaient de défendre cette femme, et ses devoirs de citoyens qui lui conseillaient de la livrer. » 


Maurice, le héros par excellence, nous est ainsi immédiatement dévoilé : un jeune homme courageux, bon, intègre et fidèle à son devoir mais qui ne veut pas pour autant en oublier d'être galant.


« Au physique, Maurice Lindey était un homme de cinq pieds huit pouces, âgé de vingt-cinq ou de vingt-six ans, musculeux comme Hercule, beau de cette beauté française qui accuse dans un Franc une race particulière, c'est-à-dire un front pur, des yeux bleus, des cheveux châtains et bouclés, des joues roses et des dents d'ivoire. »

Une description qui a de quoi faire frétiller un dessinateur de couvertures Harlequin.

Désolée : je n'ai pas trouvé Sauvée par l'Hercule franc



Finalement, des renforts arrivent et Maurice, qui a enfin pu apercevoir le très joli minois de la demoiselle, se propose de l'escorter jusqu'à son logement, non sans continuer de se poser des questions sur sa peur de se retrouver au poste et sur le fait qu'elle se promenât seule à une heure indue. 



« — En vérité, madame, vous me défendez d'être indiscret, et en même temps vous faites tout ce que vous pouvez pour exciter ma curiosité. Ce n'est pas généreux. Voyons, un peu de confiance ; je l'ai bien méritée, je crois. Ne me ferez-vous point l'honneur de me dire à qui je parle ?
— Vous parlez, monsieur, reprit l'inconnue en souriant, à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu'elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.
— Je ne vous en demande pas tant, madame ; soyez moins reconnaissante, et, pendant cette seconde, dites-moi votre nom.
— Impossible.
— Vous l'eussiez pourtant dit au premier sectionnaire venu, si l'on vous eût conduite au poste.
— Non, jamais ! s'écria l'inconnue. 
— Mais alors, vous alliez en prison. 
— J'étais décidée à tout. 
— Mais la prison dans ce moment-ci... 
— C'est l'échafaud, je le sais. 
— Et vous eussiez préféré l'échafaud ? 
— À la trahison... Dire mon nom, c'était trahir ! 
— Je vous le disais bien que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain ! »



    Et le Chevalier de Maison-Rouge dans tout ça ? Eh bien il se trouve qu'il a réussi à s'introduire dans Paris le soir même où commence notre histoire. Quelle coïncidence ! Et qui est-il? Pas un pécore, vous vous en doutez. Mais pourquoi donc venir à Paris alors que les artisto-chasseurs mènent une véritable battue ? Et pourquoi Lorin, l'ami de Maurice est-il dans tous ses états lorsqu'il lui annonce cette intrusion dans la capitale ? Parce que Maison-Rouge veut délivrer Marie-Antoinette, alors prisonnière au Temple, et qu'il complote activement pour cela (c'est le genre de mission qui nécessite un peu plus de préparation que de la soupe instantanée).
Et il semblerait qu'il ait eu l'assistance d'une femme pour entrer dans la ville... Notre Maurice bon et fort, mais aussi tout bonnement fort bouché en l'occurrence ne semble pas faire le rapprochement, cherche à revoir la belle jeune femme rencontrée la veille et il ne semble pas que ce soit pour l'interroger... 



La suite, dans Le chevalier de Maison-Rouge de Dumas père.


La prison du Temple en 1785
(source : histoires-de-paris.fr)



    Si vous avez envie d'un livre qu'on ne peut plus lâcher une fois commencé, vous pouvez y aller les yeux fermés (nota bene : les yeux ouverts c'est quand même plus pratique). L'intrigue nous tient en haleine du début à la fin ; on assiste à l'élaboration de plans qui feraient passer Danny Ocean (Ocean's eleven) pour Vil Coyote (il est possible que j'exagère un peu) ; et ce bougre de Dumas n'a pas hésité à nous mitonner l'histoire d'amour la plus mal engagée qu'on puisse imaginer pour cette époque.
Pour ne rien gâcher, il prend également le parti, surprenant vu le contexte, de ne pas être manichéen (à un personnage secondaire près qui est parfaitement négatif). Les deux camps fournissent leur lots de héros positifs : on ne présente plus Maurice, qui nous donnera plus d'une fois l'occasion de le prendre en affection mais je citerai aussi comme exemple Marie-Antoinette qui devient réellement un personnage sublime et émouvant (bien que secondaire) sous la plume de Dumas, et le Chevalier qui se comporte réellement de manière à incarner l'idéal chevaleresque.


« Tu vois bien cette femme ? [...] reine, c'est une grande coupable ; femme, c'est une âme digne et grande. »


La reine dans son cachot, Simon Gervais
(source : Nineteenth century art worldwide)

Voilà comment Dumas se justifie, par l'intermédiaire de Maurice qui prononce ces paroles, d'avoir traité de manière aussi positive le personnage de Marie-Antoinette. Chez Dumas, il ne s'agit pas d'une Marie-Antoinette frivole qu'on admire pour le faste ou le « glamour », comme souvent aujourd'hui, mais pour sa noblesse dans la douleur et l'humiliation. J'ai rarement rencontré de personnage littéraire aussi admirable.





    Une dernière chose avant de vous laisser vous couper du monde le temps de dévorer cette petite gourmandise : je vous recommande très fortement l'édition folio. Cette édition est parfaite : juste ce qu'il faut d'annotations pour éclairer le sens de certains mots de vocabulaire propres à cette époque (exemples : « ci-devant », « muscadin » et autres sobriquets aristocracistes), mais également pour corriger quelques inexactitudes historiques que Dumas s'est permises. Par exemple, il condense une période plus étendue dans cet  « épisode de 93 » afin de dépayser davantage son lecteur à force de références au culte de l'Être suprême et autres touches d'exotisme qui n'ont en réalité pas été toutes contemporaines. Cependant, ces notes nous permettent de constater que, si Dumas se permet une certaine liberté vis-à-vis de la « grande » histoire, il suit assez fidèlement la « petite » : j'entends par là l'histoire de la réclusion de Marie-Antoinette et des tentatives du Chevalier de Maison-Rouge pour la libérer. Oui : c'est INSPIRÉ D'UNE HISTOIRE VRAIE (argument des plus vendeurs). Gallimard va me devoir un chèque pour cet article.
À ces annotations passionnantes et très utiles s'ajoutent un index des personnages historiques évoqués (avec une courte biographie pour chacun), une chronologie couvrant la période du 14 juillet 1789 au 16 octobre 1793, des plans du Temple et de la Conciergerie, divers documents (très courts) sur le code institué entre elles par les prisonnières (Marie-Antoinette, sa belle-sœur et sa fille), l'interrogatoire d'un gendarme au sujet d'une des tentatives de communication entre le Chevalier et la reine emprisonnée et enfin une bibliographie sur le Chevalier et ses tentatives de sauver la reine.
Ne vous effrayez cependant pas d'un tel appareil : la lecture de ces documents n'est pas nécessaire pour apprécier le roman mais je les ai trouvés passionnants.
En plus, cette édition sent bon (argument imparable).



Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture, parce que je ne doute pas de vous avoir convaincus : une histoire d'amour impossible, des conspirations audacieuses aux conséquences mortelles, des héros chevaleresques... Que demande le peuple (à part peut-être de la brioche pour accompagner tout ça) ? 





Après cette petite tranchette de brioche, vous reprendrez bien un peu de roman historique ? 
Allez jeter un œil à mon article sur L'Allée du Roi de Françoise Chandernagor.



Et pour commencer l'aventure Chevalier de Maison-Rouge, je vous propose ce premier enregistrement (sur quatre qui nous emmènent jusqu'à la première moitié du chapitre IV) de lecture à voix haute du roman :



dimanche 3 juin 2018

Le pavillon des cancéreux - Alexandre Soljénitsyne







« Soljénitsyne » : je ne sais pas si vous êtes ou avez été dans ce cas mais ce nom m'a longtemps paru aussi inaccessible que le moustique opiniâtre qui hante occasionnellement mes nuits (blague de saison : ILS seront bientôt de retour). Ça commence à remonter mais il me semble en avoir vraiment entendu parler pour la première fois seulement en terminale (en cours de philosophie). Depuis, il flottait dans le brouillard de mon cerveau vaguement défini comme «penseur» (en effet : ça ne veut rien dire), peut-être comme dissident (mais qu'est-ce que je connaissais alors de l'URSS ? les cours de siestoire m'ont si peu appris !) ; bref, « écrivain » semblait désigner un état trop accessible par rapport au monument Soljénitsyne tel qu'on nous le présentait. Je ne me rappelle pas exactement ce qu'on m'en avait dit à l'époque mais j'en ai à nouveau entendu parler depuis et à chaque fois on m'a laissé la même impression. 

En général, lorsqu'on parle de Soljénitsyne c'est pour évoquer le dissident alors qu'il est avant tout écrivain. Ses œuvres ne sont pas des essais politiques mais bien des romans. D'après son épouse, ils déploraient tous deux cette confusion (pour en savoir plus, cliquez ici pour découvrir ma retranscription de la passionnante interview que Natalia Soljénitsyne a donné lors du dernier salon du livre de Paris) : « C'est quelque chose qui est aussi bien regrettable en Russie qu'en Occident. En réalité son œuvre est beaucoup plus universelle qu'on pourrait le penser parfois et elle n'est pas forcément liée à une conjoncture politique particulière. »

Les ignares de l'histoire soviétique seront rassurés. 
Pour achever d'appâter les plus effarouchés, j'ajouterai que le style de Soljénitsyne, en tout cas en version traduite, est assez simple : Le pavillon des cancéreux n'est pas un roman difficile à lire. Ce qui ne l'empêchera pas de vous faire beaucoup réfléchir. C'est une œuvre qui allie la simplicité de la forme à une grande profondeur. C'est ça le talent ! On évitera de dire « génie » pour ne pas l'ériger à nouveau en monument qu'on ose à peine toucher avec l'extrémité d'un bâton tenu à bout de bras.



    Le pavillon des cancéreux raconte assez sobrement le quotidien des patients et des médecins d'un service de cancérologie à Tachkent (Ouzbékistan) en 1955 (soit 2 ans après la mort de Staline). La narration gravite autour de la salle commune des hommes, un petit dortoir où 9 lits sont disposés en rangs serrés. Les malades n'en sortent que pour recevoir des soins ou faire des examens.

La narration nous fait suivre différents personnages à tour de rôle, d'un chapitre à l'autre : une cancérologue qui se sent pousser une tumeur mais qui retarde le moment de l'affronter ; un touchant jeune homme de 16 ans qui étudie consciencieusement et avec enthousiasme en attendant de guérir ; une médecin discrète, timide qui cache un secret ; un vénérable médecin qui s'obstine à garder une patientèle privée qu'il reçoit chez lui, pratique transgressive et désuète à cette époque ; et cætera. Mais les deux personnages qu'il nous est donné de suivre plus particulièrement sont Roussanov et Kostoglotov.

Pavel Roussanov est un délateur professionnel (si cette carrière vous attire vous devez préparer un BTP : brevet tite pute), fervent serviteur embourgeoisé du Parti.

    « Bien sûr, les Roussanov n'allaient pas dans n'importe quelle maison de repos, ils n'allaient que dans celles où la personne est connue, respectée, où on lui crée des "conditions", où la plage et les allées sont interdites d'accès au public. Et lorsque les médecins avaient prescrit à Capitoline Matveïevna [la femme de Pavel] de faire davantage de marche, elle n'avait pu trouver pour le faire aucun autre endroit qu'une maison de repos de ce genre où elle était avec des égaux.
Les Roussanov aimaient le peuple, leur grand peuple. Et ils servaient ce peuple, et ils étaient prêts à donner leur vie pour le peuple.
    Mais, d'année en année, ils devenaient de moins en moins capables de supporter... La population. »

(Oui : Soljénitsyne avait le sens de l'humour.)


«S'cusez Sire, c'est l'bas peuple : je peux plus supporter leur tronches. »
Montage de la page Facebook Kaamelott, les répliques cultes !


Un personnage absolument CHARMANT qui aime se plaindre de la piètre qualité du service de l'hôpital. Et pourtant... Soljénitsyne a réussi à me faire ressentir de la pitié pour lui par moments : après tout, il se retrouve aussi vulnérable que les autres face à son mal et sa mort probable. 


Oleg Kostoglotov, ancien prisonnier condamné à la relégation à vie est le voisin de lit de Roussanov (ambiance). Personnage exubérant, il ne supporte pas que les médecins le laissent dans l'ombre quant à son traitement, comme ils ont l'habitude de le faire avec les autres patients (ce conflit donne lieu à une belle réflexion sur l'autorité). Kostoglotov veut comprendre comment tout cela fonctionne et quelles seront les conséquences pour lui. Il est aussi le seul à se permettre de sortir dans le parc de l'hôpital (il cache illégalement des bottes sous son lit).

« Déjà il s'était relevé de toute sa hauteur de grande perche, et, enfilant une blouse de femme, une de ces blouses de futaine sale et ample qui lui retombait presque sur les bottes et lui servait de manteau pour les promenades[...]. De la poche de son peignoir, il extirpa un ceinturon militaire roulé, large comme quatre doigts, avec une boucle en forme d'étoile à cinq branches. Il ceintura son peignoir qui bâillait, en prenant soin de ne pas comprimer l'endroit de la tumeur. »


C'est LE look de la prochaine saison.

    Soljénitsyne nous offre donc une belle diversité de personnages liés cependant par leur confrontation avec la mort et la maladie dont ils nous parlent chacun en leurs termes par l'intermédiaire du narrateur, ce qui rend accessible des réflexions profondes (aucun des personnages n'est doctorant en philo) qui nous touchent d'autant plus qu'elles sont traitées avec une certaine simplicité (le p'tit narrateur omniscient qui va bien, t'as vu). Soljénitsyne affirme avec force la valeur des vies apparemment ineptes de ces malades.
« Thématiques joyeuses », me direz-vous. Croyez-moi, c'est là qu'on touche à la grande prouesse de ce roman : l'espoir n'est jamais loin. Il est distillé avec doigté tout au long du roman. Un petit coup de Soljénitsyne devant les mirettes, ça fait du bien.


    Je laisse un dernier extrait pour ceux qui ressentiraient encore le besoin de tâter le terrain :



    « Oleg était excité - excité d'avoir tant parlé et d'avoir été écouté. Brusquement il s'était senti submergé, entraîné par la sensation de vie retrouvée, cette vie dont, il y avait tout juste quinze jours, il s'était cru congédié. Bien sûr, cette vie ne lui promettait rien de bon, de ce qu'on appelait ainsi du moins, et pour quoi se battaient les habitants de cette grande ville – ni appartement, ni biens matériels, ni succès social, ni argent –, mais il y avait d'autres joies intrinsèques, des joies que lui n'avait pas désapprises, dont il savait toujours le prix : le droit de marcher sur cette terre sans obéir à un ordre ; le droit d'être seul ; le droit de regarder les étoiles sans être aveuglé par les projecteurs du camp ; le droit d'éteindre la lumière pendant la nuit et de dormir dans l'obscurité ; le droit de jeter des lettres dans les boîtes aux lettres ; le droit de se reposer le dimanche ; le droit de se baigner dans la rivière. Oui, des droits de ce genre, il y en avait beaucoup.
    Le droit de bavarder avec des femmes.
    Et tous ces droits, merveilleux et innombrables, sa propre guérison les lui rendait !
    Sans bouger, il fumait et il exultait. »









Autre recommandation (un recueil de trois nouvelles)



dimanche 15 avril 2018

L'archipel d'une autre vie - Andreï Makine





    Pavel Gartsev, réserviste soviétique, est appelé pour se préparer à la guerre nucléaire (on est en 1952), parce que merde, on est des Russes : il n'y a pas de raison qu'avec un peu d'entraînement on ne puisse par survivre à une bombe atomique, quand bien même nous atterrirait-elle sur le sommet du crâne.
Finalement, Pavel, un autre soldat et deux officiers sont appelés pour une autre mission : rattraper un évadé du camp de prisonniers voisin, lequel s'est réfugié dans la taïga. La motivation à retrouver le prisonnier varie d'un personnage à l'autre mais aussi au fil de l'intrigue mais pour schématiser, on pourrait répartir les rôles de la façon suivante : l'un est terriblement ambitieux et espère une décoration de plus ; l'autre s'efforce de se montrer zélé parce qu'il sait qu'on attend le moindre prétexte pour l'accuser d'avoir saboté l'opération et l'envoyer lui-même au camp ; un autre paraît presque indifférent ; le quatrième, sans vouloir empêcher la capture,  n'est pas pressé de retourner au cantonnement : après tout, cette balade n'est pas désagréable.


    Des textes sur le retour à la nature, il en est déjà sorti des floppées. Ils semblent d'ailleurs particulièrement en vogue. Or, le texte de Makine se démarque admirablement : dans L'archipel d'une autre vie, la nature ne décomplexifie pas l'homme miraculeusement à peine a-t-il posé un pied dans la forêt. Le héros lui-même est surpris plusieurs fois par son propre comportement et raconte sans complaisance et avec simplicité comment il s'est senti emporté par l'ambition ou encore par une haine subite pour le prisonnier qui lui inspirait d'abord de la compassion.
Ajoutez à cela la diversité des personnages et leur confrontation dans un lieu isolé du reste du monde, leur vie commune jour et nuit : vous admettrez qu'il y a là de quoi faire un bon roman.
    La particularité de ce texte c'est qu'il ne décrit pas l'harmonie entre l'homme et la nature mais le processus chaotique qui peut y conduire. L'homme doit se débarrasser de ses habitudes, et s'affranchir de besoins qui n'en sont pas vraiment mais qu'il a intégrés comme tels en vivant en société. Ces besoins de l'homme « civilisé » qui le poussent pourtant à se conduire soi-disant comme un bête. Vus depuis la taïga, ces « besoins » deviennent au bout d'un moment des « petits plaisirs » dans la bouche d'un personnage.



« Nous avons peur de perdre nos petits plaisirs et, du coup, nous sommes prêts à obéir à n'importe quel salaud. »


Un autre dit comment il a pu déjà se détacher de la société, « sortir du jeu » après avoir perdu son fils et sa femme.



« Il faut toucher le fond, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à un homme. Après ma première année de prison, j'ai commencé à éprouver cette liberté-là. Oui, la liberté ! Ils pouvaient m'envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas, car ce n'était qu'un jeu et je n'étais plus un joueur. Pour jouer, il fallait désirer, haïr, avoir peur. Moi, je n'avais plus ces cartes en main. J'étais libre... »

Leur séjour dans la taïga a d'abord exacerbé les passions des personnages, mais, après quelques temps, il leur arrive, ne serait-ce que ponctuellement, de prendre du recul sur elles.



    J'ai l'impression d'expliquer tout cela très mal : ce qui est en fait une réflexion complexe et profonde tend à devenir simpliste et téléphoné sous ma plume. Attention : ce n'est pas parce que je parle de « réflexion complexe » que L'archipel d'une autre vie est un roman compliqué à lire. Mais il est difficile à résumer dans un article précisément parce que Makine manie le genre romanesque avec brio : tout ce qu'il écrit a un sens, l'ensemble est admirablement bien ficelé ; et c'est pour cela que j'ai l'impression de l'appauvrir lorsque j'isole des éléments pour le résumer.
Qu'est-ce que j'entends par « bien ficelé » ? Par exemple, il m'est arrivé plusieurs fois au cours de ma lecture de me rappeler d'éléments de détail évoqués bien plus tôt dans le roman et qui venaient prendre tout leur sens des pages plus tard ; et ce malgré ma mémoire de poisson rouge : quelle performance d'écrivain ! 
Pour couronner le tout, ce n'est pas parce que L'archipel d'une autre vie fait réfléchir qu'il n'est pas palpitant : surtout à partir du milieu du livre, je n'arrivais plus à le lâcher.

    Je vous recommande donc chaleureusement ce petit roman qui sort des sentiers battus (au sens propre comme au figuré). Il a été pour moi une belle surprise et je vous conseille de tenter l'aventure, même si le résumé ne vous inspire pas : en principe la « chasse à l'homme » n'est pas tellement mon truc non plus (je préfère chasser des bébés labradors) et pourtant me voilà, en train de vous en parler alors que je pourrais être en train de relire Harry Potter en mangeant des bonbons (si c'est pas du sacrifice)... 

mardi 20 mars 2018

Retranscription de l'interview de Natalia Soljénitsyne au salon du livre de Paris


Alexandre et Natalia Soljénistyne (source : psmb.ru)



         Vendredi 16 mars 2018, Michel Field a interviewé Natalia Soljénitsyne au salon du livre de Paris. J'ai eu la chance d'y assister et, comme je suis une fille bien, je vous la retranscris ici. Seulement, mon niveau de russe étant ce qu'il est ( «Shame ! Shame ! Shame!» ; merci septa Unella pour cette intervention), je m'en suis essentiellement tenue à la traduction de l'interprète qui accompagnait Madame Soljénitsyne.



Michel Field : Qu'est-ce que signifie aujourd'hui défendre, assumer, incarner l'œuvre de Soljénistyne ?

Natalia Soljénitsyne : C'est tout d'abord du travail ! C'est un travail difficile mais qui me rend heureuse. Ça a été toute ma vie. 



M.F. : De quoi vous sentez-vous la plus dépositaire ?


N.S. : Pour moi, la tâche principale c'est celle qui m'a été confiée par mon époux : publier l'ensemble de son œuvre dans sa version définitive. Pour moi, c'est vraiment cela le cœur de mon travail.



M.F. : En même temps, c'est ce que vous avez fait depuis le début, puisque pendant la saga de L'archipel il y avait la façon dont, feuillet par feuillet, vous alliez cacher pour les faire sortir de Russie les textes de votre mari.

N.S. : Oui, mais les temps changent et chaque temps a ses propres problèmes et tâches, et de nouvelles générations sont en train de se former qui n'ont pas vécu ce que nous avons vécu à cette époque-là et il faut leur transmettre.


http://www.lecerclepoints.com/livre-archipel-goulag-alexandre-soljenitsyne-9782757843260.htm
Cliquez sur les couvertures pour lire les résumés


M.F. : Pour la jeunesse russe, qu'est-ce qu'évoque le nom d'Alexandre Soljénitsyne ? Est-ce qu'il évoque encore quelque chose ?

N.S. : Je pense que, comme ici, on ne peut pas parler de la jeunesse russe comme d'un tout uniforme : il y a une grande diversité et tout dépend du milieu, du genre d'éducation. C'est très fragmenté.



M.F. : Par exemple est-ce que son œuvre est enseignée dans les lycées, dans les universités ?


N.S. : Dans les écoles, l'œuvre de Soljénitsyne fait partie du programme officiel ; deux œuvres en particulier : Une journée d'Ivan Denissovitch et La maison de Matriona. L'archipel fait aussi partie du programme des classes supérieures mais n'est pratiquement jamais étudié à cause du manque de temps.
Pour ce qui est de l'université, cela dépend totalement des enseignants.


https://www.lisez.com/livre-de-poche/une-journee-divan-denissovitch/9782221191781https://www.lisez.com/livre-de-poche/la-maison-de-matriona/9782221195802


M.F. : Est-ce qu'on l'étudie comme une œuvre littéraire et non pas uniquement par rapport aux effets politiques qu'elle a eu ?


N.S. : Oui, en effet, dans les écoles c'est comme littérature qu'on l'étudie et au contraire on essaie de ne pas mettre l'accent sur la dimension politique de l'œuvre.



M.F. : Est-ce que parfois vous avez regretté que l'aspect politique recouvre le littéraire dans la réception de l'œuvre de Soljénitsyne particulièrement en Occident, et particulièrement en France ?


N.S. : Oui en effet, Alexandre Issaïevtich (Soljénitsyne) en a parlé lui-même. C'est quelque chose qui est aussi bien regrettable en Russie qu'en Occident. En réalité son œuvre est beaucoup plus universelle qu'on pourrait le penser parfois et elle n'est pas forcément liée à une conjoncture politique particulière.


M.F. : Est-ce qu'au moment où L'archipel du goulag a été accueilli en Occident, vous avez eu avec votre mari la conscience du tremblement de terre que ça allait causer ?


N.S. : Oui, on peut le dire. Mon mari disait toujours que publier L'archipel du goulag c'était comme mettre sa tête sur un billot. « Je vais contre leur idéologie mais sur mon bras je porte ma propre tête et je suis prêt à mourir. »



M.F. : C'est très religieux comme métaphore !


N.S. : Ce n'est pas du tout une métaphore ! Absolument pas ! C'était vraiment ainsi, et le fait d'être préparé à mourir lui avait donné beaucoup de force.



M.F. : Il faut rappeler qu'il y avait eu plusieurs tentatives d'assassinat contre Alexandre Soljénitsyne et qu'une de ses collaboratrice, Élisabeth a été retrouvée pendue. Il y avait un harcèlement. Est-ce que vous avez eu peur ?


N.S. : Le plus important c'est de décider si on va jusqu'au bout ou pas. Une fois la décision d'aller jusqu'au bout prise, la peur disparaît. Mais pendant un moment j'ai eu très peur pour mes enfants.



M.F. : Plus pour vos enfants que pour vous-même ?


N.S. : Oui, bien sûr.



M.F. : Quitter l'Union soviétique, ça a été douloureux pour vous ?


N.S. : Oui, pour lui comme pour moi.



M.F. : Quand vous êtes partis, est-ce que c'était avec le secret espoir qu'un jour vous alliez revenir?


N.S. : D'une manière étrange, Alexandre Issaïevitch était persuadé qu'il reviendrait et autour de lui cela soulevait beaucoup d'incrédulité : on considérait cela comme une sorte de fantaisie un peu romantique mais lui était persuadé qu'il reviendrait. 



M.F. : Est-ce qu'avec le recul vous comprenez pourquoi ce livre, encore une fois L'archipel, a eu un tel écho alors que ce n'était pas la première fois que le système totalitaire et concentrationnaire de l'Union soviétique était raconté ou dénoncé ? 


N.S. : Quand nous sommes arrivés en Occident, Alexandre a eu la surprise de découvrir qu'en effet, beaucoup de livres avaient déjà été publiés sur le sujet : il en avait compté une trentaine. Et la réponse à la question « pourquoi ce livre a provoqué ce séisme? » c'est justement la qualité littéraire de cette œuvre.



M.F. : Vous pensez que c'est la puissance littéraire du livre par rapport à des témoignages plus idéologiques et plus politiques qui l'avaient précédé qui a fait sa force ?


N.S. : L'alliance de cette force littéraire, artistique et de la situation exceptionnelle de la Russie ont causé cette explosion. Alexeï Lossev, un philosophe qui lui-même avait été prisonnier des camps disait après la publication non pas seulement de L'archipel mais aussi d'Août 1914 (le premier volume de La roue rouge), que ce qui caractérise Soljénitsyne c'est ce sentiment de catastrophe mondiale qui n'existait pas chez les écrivains du XIXème siècle. Lossev comparaît les écrivains et disait que Tolstoï avait excellé dans la représentation des passions charnelles, Dostoïevski dans celles de l'âme et de l'intelligence et que Soljénitsyne avait réussi à rendre les passions sociales plus qu'aucun autre écrivain.


https://www.fayard.fr/la-roue-rouge-9782213013398


M.F. : Quand on ne connaît pas très bien la littérature russe, on connaît au moins Tolstoï et Dostoïevski. Très souvent on rapporte Soljénitsyne plus volontiers à Tolstoï, dans le côté grande fresque historique. Mais est-ce que dans la dimension métaphysique, dans la présence de la transcendance, du besoin de transcendance, il n'est pas plus proche de Dostoïevski ?


N.S. : Alexandre Issaïevitch a réfléchi à ces questions. Il tenait Tolstoï pour un immense artiste mais Dostoïevski lui était plus proche.



M.F. : Est-ce que vous pourriez dire en quoi il était proche de Dostoïevski ?


N.S. : Il m'est difficile d'en parler. Je sais que dans la salle il y a de grands spécialistes de Dostoïevski et je ne me sens pas très compétente, mais je dirais quand même que Soljénitsyne n'a pas été un historien du système pénitentiaire soviétique, il n'a pas été un historien de la révolution, il a été avant tout celui qui a fait le portrait de l'âme humaine dans des situations extrêmes et en ce sens il est effectivement proche de Dostoïevski.




M.F. : Est-ce que vous venez de dire n'éclaire pas une série de malentendus qui a accompagné la venue de Soljénitsyne en Occident ? Je pense notamment à son fameux discours de Harvard, où l'Occident attendait d'un opposant au totalitarisme russe une sorte d'éloge du capitalisme et du libéralisme ; or ce discours de Harvard est extrêmement critique à propos du système libéral, précisément par son manque de transcendance, par son manque de sens religieux au sens métaphysique du terme. Est-ce ça n'a pas été une des causes de certains malentendus ?


N.S. : La question s'adresse plutôt à vous.



M.F. : Comment votre mari et vous avez vécu les réactions au discours de Harvard ?


N.S. : Nous avons d'abord été très étonnés et puis ces questions nous ont beaucoup intéressés. Alexandre Issaïevitch a vraiment pris la peine de lire tout ce qui a été écrit. 25 ans plus tard un livre est paru sur ces réactions. Ce qui l'a surpris c'est que les élites occidentales n'aimaient pas beaucoup la critique : il avait l'illusion que c'était propre à celles de son pays.



M.F. : Il écoutait les critiques ? Il y réfléchissait ? Ou elles l'agaçaient et il les balayait d'un revers de main ?


N.S. : Il était très attentif à ce qu'on lui disait, à la critique mais pas à toute critique. Il préférait les critiques intelligentes. 



M.F. : Est-ce que précisément vous avez souvenir d'une critique intelligente qui à un moment donné l'a fait évoluer dans ses représentations ?


N.S. : La question est très intéressante mais un peu compliquée pour le temps qui nous reste.



M.F. : Essayez quand même.


N.S. : Lui-même s'est étendu sur ce sujet dans son livre Le grain tombé entre les meules. C'était quelqu'un qui s'autocritiquait beaucoup. Il lui est arrivé de reconnaître publiquement ses propres erreurs. Donc oui : il était réceptif.


https://www.fayard.fr/le-grain-tombe-entre-les-meules-9782213601861


M.F. : Est-ce que certaines critiques ont pu le blesser humainement parlant ? Je pense par exemple aux polémiques sur son antisémitisme supposé. Est-ce que ça, sachant qu'autour de lui, dans la dissidence il était entouré de juifs, c'est quelque chose qui a pu profondément le heurter et le blesser ?


N.S. : D'une manière générale il était très affecté par les critiques qui venaient de gens qui n'avaient pas lu attentivement ce qu'il avait écrit et qui lui semblaient viser à côté.



M.F. : Vous avez eu une formation scientifique, et lui aussi a fait des études de philosophie, de latin, et cætera... Est-ce qu'il y a quelque chose d'une rigueur mathématique dans la construction de ses grandes œuvres ?


N.S. : Oui, il l'a dit lui-même. Il a reconnu, surtout quand il écrivait La roue rouge, que sa formation scientifique lui permettait d'organiser un travail de recherche qu'il n'aurait pas su organiser sans cela.



M.F. : Vous interveniez dans son travail de structuration, par rapport à toutes les archives, au travail de documentation ?


N.S. : J'aidais à rechercher des documents, à les présenter parfois, mais tout ce qui concernait la composition, la construction c'était son domaine.



M.F. : Il vous interdisait d'entrer dans son bureau de travail ?


N.S. : Nous en discutions mais personne n'était admis au premier stade de l'écriture. Je m'incluais dans les stades terminaux : la relecture, et cætera. Mais pas au moment de la conception.



M.F. : Est-ce qu'il faisait lire ce qu'il écrivait ou est-ce qu'il attendait que les choses soient finies pour avoir votre regard ?


N.S. : Je m'incluais aux autres étapes. Nous avons conservé une énorme correspondance dans les marges des manuscrits où nous échangions des remarques sur l'état du texte.



M.F. : Comment était-il lorsqu'il écrivait ? Il y a des écrivains qui sont de très mauvaise humeur quand ils écrivent, ils sont imbuvables avec leur entourage. Vu le poids de l'œuvre dont il était en train d'accoucher on pourrait le comprendre.


N.S. : La première rédaction, le processus de rédaction ex-nihilo, la création du texte lui était toujours très difficile : il était renfermé à ce moment-là, les enfants savaient qu'il ne fallait pas le déranger. Ce n'est pas qu'il était désagréable avec son entourage, c'est qu'il avait besoin d'être seul. Mais dans les stades ultérieurs il se détendait : écrire le rendait heureux et, heureux lui-même, il partageait son bonheur.



M.F. : Il acceptait que vous plaisantiez sur ce qu'il avait écrit ? Les épouses ont parfois des critiques désinvoltes...


N.S. : D'une manière générale nous discutions beaucoup, peut-être même trop : ça pouvait l'agacer. Mais il écoutait jusqu'au bout et il réagissait à tout. 



M.F. : C'est vrai que du dehors il n'avait pas l'air très commode...


N.S. : C'est une question qu'on me pose souvent : comment vivre avec un personnage comme Alexandre Soljénitsyne ? Il n'y a pas de réponse générale à cette question. Je peux simplement témoigner du fait que vivre avec lui était facile pour moi. Nous avions une vie difficile mais nous n'avions pas des relations difficiles.



M.F. : Au moment où la situation était très difficile, avec la censure, est-ce que vous aviez conscience qu'il était en train de réaliser une œuvre historiquement très importante ou est-ce que l'urgence du moment, de faire passer les papiers les uns après les autres occultait cette dimension, cette projection dans l'histoire ?

N.S. : Oui en tout cas, j'avais conscience d'assister à la création de quelque chose d'important en tout cas pour la Russie. Peut-être pas pour l'histoire du monde entier mais pour l'histoire de la Russie. Les enfants aussi le savaient.



M.F. : Justement, quand l'écho de son œuvre a résonné, non pas seulement en Russie mais dans le monde entier, vous ne vous y attendiez pas ?


N.S. : Nous comprenions que la Russie est une partie du monde occidental et les processus en cours en Russie, même si sous une autre forme, étaient aussi en cours en Occident, ou le seraient peut-être aussi : pour nous, il n'y avait pas de séparation.



M.F. : Quelle place avait la culture française pour vous avant que vous ne soyez venus en Occident ? Est-ce qu'il y avait des auteurs français, est-ce que la culture française, l'histoire française avaient une importance particulière ?


N.S. : Sa langue, quand il était jeune, c'était l'allemand, pas le français. Il avait lu les romantiques allemands, Schiller, Goethe, et cætera... Effectivement, il n'avait pas véritablement de lien avec la France, et quand il est venu en France, il s'attendait à rencontrer un pays qui ne lui serait pas proche. Et il a été très étonné de découvrir que la vérité n'était pas du tout celle à laquelle il s'attendait. Alors qu'il ne se sentait pas à l'aise en Suisse, il s'est détendu en France et il a senti au contraire une sorte de proximité avec ce pays.



M.F. : C'est un peu paradoxal parce que, pour les Français, la France rayonne beaucoup dans le monde avec ses idéaux révolutionnaire de 1789 et il y a eu de jolies polémiques aussi quand il a prononcé son discours sur les guerres de Vendée. Est-ce qu'il s'attendait à choquer autant l'intelligentsia française en ayant un point de vue critique sur la Révolution française ?


N.S. : En ce qui concerne la Vendée en tout cas il s'y attendait, bien sûr. Et il avait même été averti à l'avance que ça ne passerait pas bien. Mais il était convaincu qu'il fallait aller en Vendée et qu'il fallait se souvenir de ces victimes. Notre voyage vendéen a été pour lui un geste bien conscient qu'il assumait.



M.F. : On a l'impression (je parle du discours de Harvard, de celui autour des guerres de Vendée) qu'il avait aussi une forme de délectation à provoquer, à être là où on ne l'attendait pas, à secouer un peu les idées reçues ou trop facilement admises. Il aimait ce rôle de perturbateur ?


N.S. : Non, il n'aimait pas cela. Il ne faisait pas cela pour le plaisir. Pour lui c'était une question de principe et c'est une chose dont on devrait encore se souvenir aujourd'hui : pour lui, l'expérience de la Russie du XXème siècle, dans son sentiment, l'autorisait à revenir sur ces victimes pour dire que la fin ne justifie jamais les moyens. C'était important pour lui. 



M.F. : Il voyait la Révolution française comme la matrice des révolutions à venir et notamment des effets de la révolution russe ?


N.S. : Ce n'est pas une opinion personnelle de Soljénitsyne. C'était une conscience très forte des intellectuels russes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle : la Révolution française était un modèle.



M.F. : Et pour lui c'était un contre-modèle ?


N.S. : En tout cas, il estimait que c'était son devoir de s'opposer aux résultats auxquels ça avait conduit en Russie.



M.F. : J'aimerais revenir avec vous sur la manière dont vous avez vécu le retour en Russie et cette longue traversée que vous avez faite du pays, avec ces rencontres si fréquentes avec les zeks (les anciens prisonniers), est-ce que vous pouvez nous évoquer un peu dans quel état psychologique, affectif vous vous trouviez à ce moment-là ?


N.S. : Les émotions que nous partagions étaient très fortes. C'était d'abord un bonheur incroyable de retrouver son pays et de se retrouver au milieu de la langue russe, mais ce bonheur s'accompagnait d'une angoisse au sujet de la situation de cette époque en Russie : certes, l'heure du communisme était passée mais la « construction en béton », (c'est une expression de Soljénitsyne) était toujours là et le risque était que nous finissions tous écrasés par l'effondrement de cette construction. Nous étions à la fois très heureux de revenir et très inquiets de ce qui allait se passer.



M.F. : Il ne s'est jamais défait de cette espèce de pessimisme historique, métaphysique qui l'a accompagné toute sa vie ?


N.S. : La dernière année et demie de sa vie il était de nouveau très inquiet.



M.F. : Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?


N.S. : Il voyait ce qui se passait, il voyait que ça allait dans cette direction.



M.F. : Est-ce qu'il y a une âme russe ?


N.S. : J'espère que oui.



M.F. : Et comment vous la définiriez ?


N.S. : Elle est très belle.




M.F. : Mais encore ?


N.S. : Vous voulez parler du caractère national des Russes ? 



M.F. : Ce sentiment, quand on parle à des amis russes et qu'on finit par ne pas comprendre et qu'ils nous disent « oui mais c'est l'âme russe ». C'est une sorte de jocker.


N.S. : Je ne sais pas trop quoi répondre mais ayant vécu 25 ans en Occident je vois bien qu'il y a une différence entre les gens.



M.F. : Est-ce que, quand on a vécu 25 ans en Occident, on garde cette âme russe ?


N.S. : Nous avons réussi en tout cas et nous avons pu élever nos enfants comme des Russes.



M.F. : Je voudrais terminer de façon un peu légère. Est-ce que vous connaissez Astérix ? 


N.S. : Non.



M.F. : C'est un personnage de bande-dessinée. Il y a un rapport entre lui et Soljéntsyne. Est-ce que vous savez lequel ?


N.S. : ...



M.F. : Quand le manuscrit de L'archipel du goulag arrive en France, il est édité dans une imprimerie qui s'appelle Béresniak, je crois, rue du Faubourg-du-Temple, parce que c'était une des seules imprimeries qui avaient les caractères cyrilliques. Et cette imprimerie appartenait, côté maternel, à la famille de René Goscinny. Et il me plaît de conclure cet entretien en vous disant que le petit héros gaulois a contribué un peu au rayonnement de l'œuvre d'Alexandre Soljénitsyne.


N.S. : J'aimerais bien que ce genre d'intersection arrive plus souvent et j'aimerais aussi que ne se répètent pas des situations comme celles d'hier quand le président Macron a décidé de ne pas visiter le stand russe alors qu'il était ici.



M.F. : Vous préférez qu'on ne vous interroge pas sur l'actualité politique russe du moment, ce que je comprends. Juste un mot : vous considérez quelquefois trop injustes les critiques qui sont faites à la Russie aujourd'hui ?


N.S. :
Je pense qu'aucune critique qui atteint les dimensions de l'hystérie ne peut être juste.





dimanche 18 mars 2018

[Compte-rendu] Initiation à la littérature russe contemporaine





        Le 14 mars dernier, à la médiathèque Marguerite Yourcenar et en marge du Salon du livre de Paris, j'ai assisté à une discussion intitulée « Initiation à la littérature russe contemporaine » avec Anne Coldefy-Faucard, professeur de littérature russe, traductrice (Gogol, Dostoïevski, Sorokine, etc) et les auteurs Evgueni Vodolazkine et Iouri Bouïda qui nous ont parlé de leur vies et de leur œuvres.




Résumé de l'histoire de la littérature russe et présentation des particularités de la littérature russe contemporaine
 

    Avant d'entamer la discussion, Anne Coldefy-Faucard a commencé par résumer rapidement l'histoire de la littérature russe en mettant en avant ses grandes « tendances » : quelques thèmes primordiaux récurrents dans la littérature russe depuis le XIXème siècle et encore pertinents aujourd'hui pour nous aider à l'interroger et à la comprendre.
 


    Vous serez peut-être étonnés d'apprendre que la littérature russe a pris son essor au début du XIXème parce qu'elle n'existait pratiquement pas avant. Pour aller vite, on peut dire que c'est Pouchkine (1799-1837) qui l'inaugure ; on lui compte quelques prédécesseurs qui ont expérimenté pour créer la langue littéraire russe mais le premier « grand », c'est lui. Si vous voulez, comme en histoire on parle d'« avant J.C. », en histoire de la littérature russe on parlerait d'« avant A.S. » : avant Alexandre Sergeevitch (le prénom et le patronyme* de Pouchkine). Avant, il n'y avait tout simplement pas de langue littéraire russe (l'élite parlait français). 


    Revenons-en à l'introduction d'Anne Coldefy. Pour elle, l'histoire de la littérature russe est régie par deux tendances contradictoires : la rupture et la continuité. Avant de poursuivre sur cette idée, elle a tenu à souligner cette particularité de  la littérature russe depuis qu'elle existe : elle « s'occupe de tout » : de philosophie, de politique, des questions sociales, bref de toutes les grandes questions du moment. C'est ce qu'ont fait des auteurs comme Dostoïevski, Tolstoï, Zamiatine (né en 1884 et décédé en 1937, il est notamment l'auteur de Nous autres et de La Caverne), Soljénitsyne, etc.
Cette littérature évoluant entre rupture et continuité s'est créée en rapport avec l'Occident, soit pour s'y opposer, soit pour s'en réclamer comme d'un modèle. Cette tendance est toujours d'actualité dans la littérature russe.




http://www.editions-interferences.com/cavernefon.html
Cliquez sur les couvertures pour lire les résumés des œuvres

 

    À partir de Gogol (1809-1852), la littérature russe oscille entre deux grandes lignes : le réalisme et le fantastique. Pour Gogol, c'est par le fantastique qu'on arrive à avoir la vision la plus juste du réel : on peut parler de réalisme fantastique. Pour en savoir plus sur Gogol : https://potesenpapier.blogspot.fr/2017/11/gogol-henri-troyat.html.

Pour noter d'autres périodes de ruptures, on peut évoquer le rejet du réalisme au début du XXème siècle, la révolution dans les arts à partir de 1917, la « révolution stalinienne » et enfin ce qu'Anne Coldefy a désigné comme le « désemparement » des années 1990.


    Après ce rapide tour d'horizon de l'histoire de la littérature russe, nous voici dans le vif du sujet : la littérature contemporaine.
 

Première particularité des auteurs russes d'aujourd'hui : ils ont beaucoup plus voyagé, en comparaison avec l'époque soviétique certes ; mais aussi différemment des auteurs du XIXème, rentiers qui faisaient le traditionnel tour d'Europe. Les auteurs du XXIème siècle voyagent mais en faisant une expérience plus pratique du monde : petits boulots ou études, ils prennent réellement part à la vie des pays qu'il visitent.
Cette nouvelle approche de l'étranger marque la fin de deux courants radicaux opposés : l'idéalisation et la vision « épouvantable » de l'Occident (avant, il n'y a pas de juste milieu : l'Occident est soit  l'Enfer soit le Paradis).
À l'exemple de Gogol qui a écrit Les Âmes mortes, son ultime chef d'œuvre à Rome, certains auteurs contemporains choisissent d'écrire sur la Russie depuis l'étranger, comme si on ne pouvait bien la comprendre qu'à distance. À l'inverse, d'autres choisissent plutôt de redécouvrir l'espace russe (à l'exemple de Vassili Golovanov qui parcourt l'Extrême-Orient russe).
On note aussi que peu d'écrivains vivent à Moscou : pour Anne Coldefy cette tendance est symptomatique d'un récent réinvestissement de l'espace général de la Russie.
Cette redécouverte débouche également sur un nouvel intérêt pour l'histoire de cet espace (on note qu'un nombre assez important d'écrivains russes sont géologues ou archéologues).


https://editions-verdier.fr/livre/eloge-des-voyages-insenses/https://editions-verdier.fr/livre/espace-et-labyrinthes/



    Une autre nouveauté particulièrement russe, il me semble : la question du fantastique revient sur la scène littéraire avec notamment beaucoup d'œuvres de dystopie, de science-fiction (on peut notamment citer Vladimir Sorokine et son roman Telluria, pour évoquer le dernier en date, qui imagine l'Europe en 2050).


https://www.actes-sud.fr/catalogue/science-fiction-fantasy/telluria


    La dernière fois que la Russie avait été le pays à l'honneur du Salon du livre de Paris, c'était en 2005... Il n'y a donc pas si longtemps. Selon Anne Coldefy, les auteurs d'aujourd'hui sont « moins bruyants » mais leur travail est marqué par « beaucoup plus de profondeur ».
Et de conclure que « pour comprendre quelque chose à la Russie, il faut passer par sa littérature ».




 

Evguéni Vodolazkine

 

https://www.fayard.fr/les-quatre-vies-darseni-9782213686363


   D'origine russe, il est né à Kiev (allez savoir pourquoi, sa famille avait quitté Saint-Pétersbourg autour de 1917). Il avait deux possibilités : aller à l'école russe de Kiev ou à l'école ukrainienne. Sa maman estimait qu'on doit parler la langue du pays où l'on vit, il a donc fait partie de la minorité d'élèves à choisir l'école ukrainienne plutôt que l'école russe. Il est vite devenu bilingue.

         Plus tard, il passa « par hasard » le concours de l'école doctorale de la Maison Pouchkine (Institut de littérature russe de l'Académie des sciences de Russie) pour y étudier la littérature médiévale.
Depuis, il vit donc à Saint-Pétersbourg et a évoqué avec tendresse le potentiel littéraire de sa ville, « ville d'une beauté tragique » ; faisant peut-être d'une part référence à demi-mot à l'idée selon laquelle Saint-Pétersbourg a été fondée sur des ossements humains (elle fut fondée en 1703 par le tsar Pierre le Grand dans une zone marécageuse, les conditions de travail des ouvriers chargés de l'édifier étaient donc déplorables et ont coûté la vie à un grand nombre d'entre eux) ; il évoque aussi, explicitement cette fois, l'abandon de la ville en 1918 (date à laquelle Moscou redevient le centre du pouvoir politique). 

Vodolazkine évoque aussi la façon dont sa ville est imprégnée de littérature : vous allez dans telle rue, c'est celle où Raskolnikov (le héros de Crime et châtiment) passe avec sa hache, dans telle autre rue un peu plus loin, celle où vit Oblomov (héros éponyme du roman** méconnu en France mais certainement pas en Russie, écrit par Gontcharov, publié 1859), etc. Au risque de vexer la salle remplie de parisiens, il ira jusqu'à dire que Saint-Pétersbourg est une ville plus littéraire que Paris. Courageux. C'est peut-être vrai mais je préfère ne pas céder officiellement ; ces parisiens sont fous, on ne sait pas ce qu'ils feraient... Sourire dans le métro ?

        On l'a ensuite questionné sur son roman Les quatre vies d'Arséni. Le roman se déroule au XVème siècle, or il savait que le fait d'écrire une œuvre littéraire sur un sujet qu'on étudie est considéré par ses collègues comme un « faux-pas » (prononcé en français). Mais il se justifie en disant qu'il passe plus de temps à lire des textes de l'époque médiévale, des textes en vieux russe, que des textes contemporains. Il considère donc qu'il passe plus de temps en Russie ancienne qu'en Russie contemporaine et que c'est par conséquent en Russie ancienne qu'il se sent le plus à l'aise.
Cependant, il précise qu'il n'a aucune envie d'écrire des romans historiques « en costumes d'époque», parce que ces costumes cachent le vrai visage des personnages. Dans ses romans, il ne s'intéresse pas à la grande histoire mais à la « petite histoire : celle de l'âme ». Il oppose l'histoire personnelle et l'histoire mondiale : l'histoire mondiale ne constitue qu'une petite partie de l'histoire personnelle de l'homme.
En écrivant Les quatre vies d'Arséni, il voulait raconter l'histoire d'un « homme bien ». Dostoïesvski l'a fait dans L'Idiot « mais il décrivait ses contemporains » ce que Vodolazkine considère comme une tâche très difficile. Et l'avantage du XVème siècle, c'est qu'on y trouve un genre typique voué à ce même but de décrire des hommes bons : l'hagiographie (récit de vies de saints).





Iouri Bouïda 



http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/Voleur-espion-et-assassin


            Iouri Bouïda est originaire de Kaliningrad, exclave russe située entre la Lituanie et la Pologne, autrefois allemande. Elle est investie par une population extrêmement cosmopolite à la suite de la seconde guerre mondiale.
Bouïda nous raconte que ses nouveaux habitants ignoraient l'histoire de Kaliningrad, « alors ils l'ont inventée ».


        À propos de ses œuvres, et pour répondre à l'évocation des Quatre vies d'Arséni par Vodolazkine, Bouïda nous dit : « je n'écris pas à propos de gens mauvais mais à propos de gens intéressants ». « Est-ce que la littérature russe a besoin de héros ? Non, aucune littérature n'a besoin de héros (positifs ou négatifs) mais de caractères » ni bons ni mauvais (il cite en exemple Emma Bovary : elle n'a rien d'une héroïne).


        Bouïda nous raconte ensuite qu'il a fait ses débuts en écrivant pour un petit journal local. La région est assez petite pour qu'il ait pu faire connaissance avec tous les habitants en un an « et tous étaient intéressants ». Ce sont eux qu'il décrit dans son œuvre alors qu'il n'auraient intéressé ni la littérature soviétique, ni la littérature classique. Les lecteurs régissent d'abord à ses débuts littéraires en disant que ce qu'il raconte « n'est pas réel » ; et plus tard il concèdent que finalement, « ça ne peut pas être autrement ». La discussion se conclue sur cette citation d'un maréchal russe du XVIIIème (le maréchal Münnich) : « l'existence de la Russie ne serait pas possible si Dieu ne la gouvernait pas ».




Merci à eux d'avoir partagé tout ça avec nous !





 


* En russe, lorsqu'on s'adresse de façon formelle ou avec une certaine révérence à quelqu'un, on l'appelle par son prénom et par son patronyme et non « Monsieur Untel ». Ainsi, lorsqu'un russe vous parlera de Pouchkine, il y a de fortes chances pour qu'il l'appelle « Alexandre Sergeevitch », le patronyme (à ne pas confondre avec le nom de famille) indique le prénom de son père (Sergeï, donc). Autre exemple : Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski est le fils de Mikhaïl, son patronyme est Mikhaïlovitch et son nom de famille Dostoïevski.
Voilà : maintenant vous pouvez vous la péter en appelant les auteurs russes par leurs prénoms et patronymes.

** Attention : si vous comptez lire Oblomov, préférez l'édition Livre de Poche (traduction de Luba Jurgenson), elle a le mérite d'être complète (celle de Folio a été élaguée, bien qu'il n'en soit pas fait mention sur la quatrième de couverture).





En bonus, cette petite mais excellente vidéo où François Deweer gérant de la librairie du Globe (librairie russe de Paris qui, soit dit en passant, organise de nombreux événements et a une newsletter) arrive à nous donner terriblement envie de plonger dans la littérature russe en seulement 2 minutes :




Le même format, des questions différentes avec Anne Coldefy :