jeudi 18 octobre 2018

Le chevalier de Maison-Rouge - Alexandre Dumas


   

    « C'était pendant la soirée du 10 mars 1793.
    Dix heures venaient de tinter à Notre-Dame, et chaque heure, se détachant l'une après l'autre comme un oiseau nocturne élancé d'un niz de bronze, s'était envolée triste, morne et vibrante. 
    La nuit était descendue sur Paris, non pas bruyante, orageuse et entrecoupée d'éclairs, mais froide et brumeuse. 
    Paris lui-même n'était point ce Paris que nous connaissons ; éblouissant le soir de mille feux qui se reflètent dans sa fange dorée, le Paris aux promeneurs affairés, aux chuchotements joyeux ; aux faubourgs bachiques ; pépinière de querelles audacieuses, de crimes hardis, fournaise aux mille rugissements, mais une cité honteuse, timide, affairée, dont les rares habitants couraient pour traverser d'une rue à l'autre, et se précipitaient dans leurs allées ou sous leurs portes cochères, comme des bêtes fauves traquées par les chasseurs s'engloutissent dans leurs terriers. 
    C'était enfin, comme nous l'avons dit, le Paris du 10 mars 1793. »




C'est ainsi que débute Le Chevalier de Maison-Rouge. J'ai préféré laisser le soin à Dumas de vous mettre dans l'ambiance : il le fait si bien. S'ensuit un petit résumé de la situation de la France à ce moment-là. Je ne vais pas m'attarder dessus : même en ayant mon niveau en histoire, vous devez savoir que ce n'est pas totalement la joie et que dans ce climat tendu, il n'est pas toujours facile de garder la tête sur les épaules. Le roi en a fait les frais le 21 janvier de la même année... Eh oui, je connais la date : ça vous la coupe !
Après ce court (3 pages et demie : pas la mer à boire) rappel  historique (ou découverte, pour certains d'entre nous), on entre directement dans le vif du sujet et il ne fait plus aucun doute que nous sommes dans un roman d'aventure des plus palpitants (c'est d'ailleurs à ce moment du récit que commence ma lecture sur la chaîne YouTube ; oui : je me suis autopromue Mère Castor).






Source : wikipedia


    L'intrigue débute lorsqu'un officier tombe sur un groupe de soldats en train de rudoyer une jeune femme. Il leur demande des comptes pour leur comportement. Les soldats expliquent qu'ils sont dans leur bon droit : tout d'abord, la jeune femme n'a pas de carte de civisme, obligatoire si l'on veut sortir après 22 heures ; et après tout, c'est l'époque où l'aristo-chasse bat son plein et les soldats ont flairé là « quelque gibier aristocratique ». Le jeune homme se propose de protéger la damoiselle en détresse de cette troupe avinée et de la conduire au poste lui-même, puisque la loi l'exige : Maurice (c'est son prénom) est un bon p'tit révolutionnaire. Elle lui répond : « Monsieur, ce n'est plus l'insulte que je crains, c'est la mort : si l'on me conduit au poste, je suis perdue », alors que les soldats se préparent à attaquer Maurice pour laver l'offense d'avoir été remis à leur place par un seul homme.



« Quant à Maurice, le sourcil froncé, la lèvre dédaigneusement relevée, le sabre hors du fourreau, il restait irrésolu entre ses sentiments d'homme qui lui ordonnaient de défendre cette femme, et ses devoirs de citoyens qui lui conseillaient de la livrer. » 


Maurice, le héros par excellence, nous est ainsi immédiatement dévoilé : un jeune homme courageux, bon, intègre et fidèle à son devoir mais qui ne veut pas pour autant en oublier d'être galant.


« Au physique, Maurice Lindey était un homme de cinq pieds huit pouces, âgé de vingt-cinq ou de vingt-six ans, musculeux comme Hercule, beau de cette beauté française qui accuse dans un Franc une race particulière, c'est-à-dire un front pur, des yeux bleus, des cheveux châtains et bouclés, des joues roses et des dents d'ivoire. »

Une description qui a de quoi faire frétiller un dessinateur de couvertures Harlequin.

Désolée : je n'ai pas trouvé Sauvée par l'Hercule franc



Finalement, des renforts arrivent et Maurice, qui a enfin pu apercevoir le très joli minois de la demoiselle, se propose de l'escorter jusqu'à son logement, non sans continuer de se poser des questions sur sa peur de se retrouver au poste et sur le fait qu'elle se promenât seule à une heure indue. 



« — En vérité, madame, vous me défendez d'être indiscret, et en même temps vous faites tout ce que vous pouvez pour exciter ma curiosité. Ce n'est pas généreux. Voyons, un peu de confiance ; je l'ai bien méritée, je crois. Ne me ferez-vous point l'honneur de me dire à qui je parle ?
— Vous parlez, monsieur, reprit l'inconnue en souriant, à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu'elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.
— Je ne vous en demande pas tant, madame ; soyez moins reconnaissante, et, pendant cette seconde, dites-moi votre nom.
— Impossible.
— Vous l'eussiez pourtant dit au premier sectionnaire venu, si l'on vous eût conduite au poste.
— Non, jamais ! s'écria l'inconnue. 
— Mais alors, vous alliez en prison. 
— J'étais décidée à tout. 
— Mais la prison dans ce moment-ci... 
— C'est l'échafaud, je le sais. 
— Et vous eussiez préféré l'échafaud ? 
— À la trahison... Dire mon nom, c'était trahir ! 
— Je vous le disais bien que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain ! »



    Et le Chevalier de Maison-Rouge dans tout ça ? Eh bien il se trouve qu'il a réussi à s'introduire dans Paris le soir même où commence notre histoire. Quelle coïncidence ! Et qui est-il? Pas un pécore, vous vous en doutez. Mais pourquoi donc venir à Paris alors que les artisto-chasseurs mènent une véritable battue ? Et pourquoi Lorin, l'ami de Maurice est-il dans tous ses états lorsqu'il lui annonce cette intrusion dans la capitale ? Parce que Maison-Rouge veut délivrer Marie-Antoinette, alors prisonnière au Temple, et qu'il complote activement pour cela (c'est le genre de mission qui nécessite un peu plus de préparation que de la soupe instantanée).
Et il semblerait qu'il ait eu l'assistance d'une femme pour entrer dans la ville... Notre Maurice bon et fort, mais aussi tout bonnement fort bouché en l'occurrence ne semble pas faire le rapprochement, cherche à revoir la belle jeune femme rencontrée la veille et il ne semble pas que ce soit pour l'interroger... 



La suite, dans Le chevalier de Maison-Rouge de Dumas père.


La prison du Temple en 1785
(source : histoires-de-paris.fr)



    Si vous avez envie d'un livre qu'on ne peut plus lâcher une fois commencé, vous pouvez y aller les yeux fermés (nota bene : les yeux ouverts c'est quand même plus pratique). L'intrigue nous tient en haleine du début à la fin ; on assiste à l'élaboration de plans qui feraient passer Danny Ocean (Ocean's eleven) pour Vil Coyote (il est possible que j'exagère un peu) ; et ce bougre de Dumas n'a pas hésité à nous mitonner l'histoire d'amour la plus mal engagée qu'on puisse imaginer pour cette époque.
Pour ne rien gâcher, il prend également le parti, surprenant vu le contexte, de ne pas être manichéen (à un personnage secondaire près qui est parfaitement négatif). Les deux camps fournissent leur lots de héros positifs : on ne présente plus Maurice, qui nous donnera plus d'une fois l'occasion de le prendre en affection mais je citerai aussi comme exemple Marie-Antoinette qui devient réellement un personnage sublime et émouvant (bien que secondaire) sous la plume de Dumas, et le Chevalier qui se comporte réellement de manière à incarner l'idéal chevaleresque.


« Tu vois bien cette femme ? [...] reine, c'est une grande coupable ; femme, c'est une âme digne et grande. »


La reine dans son cachot, Simon Gervais
(source : Nineteenth century art worldwide)

Voilà comment Dumas se justifie, par l'intermédiaire de Maurice qui prononce ces paroles, d'avoir traité de manière aussi positive le personnage de Marie-Antoinette. Chez Dumas, il ne s'agit pas d'une Marie-Antoinette frivole qu'on admire pour le faste ou le « glamour », comme souvent aujourd'hui, mais pour sa noblesse dans la douleur et l'humiliation. J'ai rarement rencontré de personnage littéraire aussi admirable.





    Une dernière chose avant de vous laisser vous couper du monde le temps de dévorer cette petite gourmandise : je vous recommande très fortement l'édition folio. Cette édition est parfaite : juste ce qu'il faut d'annotations pour éclairer le sens de certains mots de vocabulaire propres à cette époque (exemples : « ci-devant », « muscadin » et autres sobriquets aristocracistes), mais également pour corriger quelques inexactitudes historiques que Dumas s'est permises. Par exemple, il condense une période plus étendue dans cet  « épisode de 93 » afin de dépayser davantage son lecteur à force de références au culte de l'Être suprême et autres touches d'exotisme qui n'ont en réalité pas été toutes contemporaines. Cependant, ces notes nous permettent de constater que, si Dumas se permet une certaine liberté vis-à-vis de la « grande » histoire, il suit assez fidèlement la « petite » : j'entends par là l'histoire de la réclusion de Marie-Antoinette et des tentatives du Chevalier de Maison-Rouge pour la libérer. Oui : c'est INSPIRÉ D'UNE HISTOIRE VRAIE (argument des plus vendeurs). Gallimard va me devoir un chèque pour cet article.
À ces annotations passionnantes et très utiles s'ajoutent un index des personnages historiques évoqués (avec une courte biographie pour chacun), une chronologie couvrant la période du 14 juillet 1789 au 16 octobre 1793, des plans du Temple et de la Conciergerie, divers documents (très courts) sur le code institué entre elles par les prisonnières (Marie-Antoinette, sa belle-sœur et sa fille), l'interrogatoire d'un gendarme au sujet d'une des tentatives de communication entre le Chevalier et la reine emprisonnée et enfin une bibliographie sur le Chevalier et ses tentatives de sauver la reine.
Ne vous effrayez cependant pas d'un tel appareil : la lecture de ces documents n'est pas nécessaire pour apprécier le roman mais je les ai trouvés passionnants.
En plus, cette édition sent bon (argument imparable).



Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture, parce que je ne doute pas de vous avoir convaincus : une histoire d'amour impossible, des conspirations audacieuses aux conséquences mortelles, des héros chevaleresques... Que demande le peuple (à part peut-être de la brioche pour accompagner tout ça) ? 





Après cette petite tranchette de brioche, vous reprendrez bien un peu de roman historique ? 
Allez jeter un œil à mon article sur L'Allée du Roi de Françoise Chandernagor.



Et pour commencer l'aventure Chevalier de Maison-Rouge, je vous propose ce premier enregistrement (sur quatre qui nous emmènent jusqu'à la première moitié du chapitre IV) de lecture à voix haute du roman :